Faut-il vraiment fermer Fessenheim
?
Publié par SLC le 28 Février 2012
Dans son programme, François Hollande avance deux propositions contradictoires : d'une part, il s'engage à
poursuivre la construction de l'EPR de Flamanville, ce qui est raisonnable sur les plans économique et industriel, d'autre part, il affirme qu'il fermera la centrale de Fessenheim dès son arrivée
au pouvoir. Il semble que les raisons, pour ne pas dire les prétextes, avancées pour une telle décision, lourde de conséquences, en particulier pour le département du Haut Rhin (environ 2000
emplois directs et indirects), relèvent soit de la sûreté (Fessenheim est sur une faille sismique), soit de l'économie (cela coûterait trop cher). Or un examen un tant soit peu sérieux montre
qu'aucune de ces justifications ne tient la route.
L'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), indépendante et rigoureuse doit rester la seule instance d'évaluation de la
sûreté des installations nucléaires.
L’indépendance et la compétence de cette Autorité sont le résultat d'un long processus poursuivi aussi bien par la
majorité actuelle que par les précédentes, y compris de gauche. L’ASN s'est livrée à un examen approfondi de la sûreté des réacteurs de Fessenheim à l’occasion des revues décennales
réglementaires de chacun des deux réacteurs, elle a donné son accord à la poursuite de leur fonctionnement moyennant des modifications et des rénovations qu’EDF intègre dans son programme de
jouvence. Puis, dans le cadre des études complémentaires de sûreté engagées suite à la catastrophe de Fukushima, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a considéré la sûreté des réacteurs de
Fessenheim satisfaisante tout en exigeant des travaux complémentaires, comme dans l’ensemble du parc. EDF a décidé la réalisation de ces travaux et engagé les moyens nécessaires. En tout état de
cause, si EDF ne réalise pas les travaux exigés par l’ASN, les réacteurs pourront être arrêtés sur instruction de cette dernière. Dès lors, comment justifier que des candidats puissent, à la
veille d'échéances électorales importantes, désavouer l’ASN et en affaiblir ainsi tant la légitimité nationale que la crédibilité internationale?
Plus spécifiquement, qu’il s’agisse des séismes ou du risque d’inondation, leur prise en compte a été jugée
satisfaisante par l’ASN dans le cadre des visites décennales. Elle a par ailleurs décidé d’engager une révision des règles nationales applicables dès l’an prochain, comme elle le fait
périodiquement, les améliorations éventuellement décidées devant alors être prises en compte par les exploitants [1] .
On peut noter que les Etats-Unis ont ouvert la possibilité de porter à 60 ans le fonctionnement de réacteurs
similaires et que la Suisse, qui exploite des réacteurs sur l’Aar, affluent du Rhin, prévoit de les maintenir 50 ans en exploitation.
L'arrêt prématuré des réacteurs de Fessenheim coûtera cher.
L’industriel EDF a clairement confirmé sa décision de maintenir les réacteurs de Fessenheim en activité au moins
10 ans de plus, son programme de jouvence étant bâti dans la perspective d’une durée de vie de l’installation jusqu’à 60 ans, si l’Autorité de sûreté le permet. A l’appui de cette décision, des
faits :
· Les deux réacteurs de Fessenheim, soit 1800 MW, délivrent au réseau électrique 134 TWh en dix ans. Pour un coût
complet de 49 €/MWh, comme estimé par la Cour des comptes ce mois ci, le chiffre d’affaire généré sera de 6,57 milliards €. Ce chiffre serait multiplié par 2 ou 3 si les réacteurs étaient
autorisés à fonctionner 50 ou 60 ans
· L’investissement de jouvence requis est chiffré par EDF à 860 millions € par réacteur
· Le coût d’exploitation de ces réacteurs, l’investissement initial étant déjà remboursé, est de 22 €/MWh (chiffre
également extrait du rapport de la Cour des comptes) : sur 10 ans il s’élèvera à 2,95 milliards pour les deux réacteurs (en euros 2010)
· La marge ainsi libérée entre le chiffre d’affaire généré et le coût d’exploitation sera compris entre 3,62
milliards € et une dizaine de milliards € selon que la durée de vie sera portée à 40 ou 60 ans soit un niveau très supérieur à l’investissement de jouvence, ce qui explique la décision
opérationnelle d’EDF de maintenir Fessenheim en activité.
L'arrêt des réacteurs impliquerait de plus que des moyens de remplacement soient mis en place. S'agissant de
production en base et semi base, il s’agira principalement de centrales à charbon ou à gaz, l’intermittence des énergies éolienne et solaire les rendant inadaptées à un tel mode de production et
beaucoup plus onéreuses. Selon la Commission « Energie 2050 » le coût du MWh produit par les centrales à charbon s'élève à 60 €/MWh, le MWh produit par des centrales à gaz entre 57 et 70 €. En
retenant une valeur moyenne de 65 €/MWh on voit que, sur 10 ans, le coût total pour la production de courant se montera à 8,7 milliards €, et le manque à gagner par rapport à la production de
Fessenheim sera de 4 milliards €.
Mais il faudrait aussi réaliser des investissements considérables, de l’ordre de 2 milliards € [2] , pour compenser la perte de production, investissements qui ne pourront être mis en place en moins de 4 ans suivant le type
de centrale. Dans l’attente de ces nouveaux moyens de production de courant le bilan entre exportation et importation d’électricité sera détérioré, ce qui creusera le déficit commercial de la
France d'au moins un milliard € par an.
Importé d’Allemagne ou produit en France, le courant devant se substituer à celui de Fessenheim sera donc
essentiellement produit par des centrales brûlant des combustibles fossiles, ce qui conduirait à l'émission d’au moins 10 millions de tonnes de CO2 par an (valorisées à un Md€ pour un coût de
100€/tonne de CO2). Mais la lutte contre l'effet de serre dont la réalité scientifiquement établie pose un vrai problème écologique semble ne plus être une préoccupation pour ceux qui se
réclament de l'écologie, qu'ils soient allemands ou français.
Enfin, les réacteurs à l'arrêt exigeront la présence d'une équipe d’exploitation restreinte, dont on peut estimer
le coût à 100 millions € par an les premières années, sans recettes pour les couvrir, soit 1 milliard supplémentaire sur 10 ans..
Un arrêt prématuré des réacteurs de Fessenheim coûterait donc, au bout de 10 ans, plus de 5 milliards d'euros, le
déficit commercial du commerce extérieur étant augmenté de 1 milliard par an, au moins pendant les premières années, les producteurs d’électricité seraient tenus d’investir plus de 2 milliards €,
et nos émissions de CO2 croîtraient de 10 millions de tonnes.
Tous ces coûts se retrouveront sur la facture d’électricité des Français. La France est elle assez riche pour se
le permettre [3] ?
Ni l’argument de sûreté ni le raisonnement économique ne justifient un arrêt dans l'urgence
de Fessenheim sans interroger l'Autorité de Sûreté, hors de toute discussion avec l'industriel EDF, principal intéressé et dont l'avis n'a pas été sollicité, et avant tout débat démocratique au
Parlement. Il serait indispensable de préciser au préalable quelles raisons pourraient justifier une si lourde décision d’arrêt, de les argumenter clairement, y compris en ce qui concerne son
coût et son impact sur les économies nationale et locale.
[1] Il serait d’ailleurs
souhaitable que les risques sismiques et d’inondations catastrophiques pour les autres bâtiments publics et privés, notamment les installations industrielles, soient traités généralement aussi
sérieusement que le fait l’ASN pour les installations nucléaires !
[2] On suppose que la
production d’énergie des centrales nucléaire est reportée sur 50% de charbon (1 M€/MW), 50 % de gaz (1 M€/MW).
[3] Ajoutons que
l’économie de la région de Fessenheim et la vie de ceux qui travaillent dans la centrale et de ceux qui en vivent seront bouleversées. Mais qu’importe !
++ Tribune sur l'énergie
nucléaire
dans Libération, par Sébastien Balibar, Yves Bréchet et Edouard Brézin, physiciens et membres de l’Académie des
Sciences
++ Université d'été SLC Paris 2011
Les transcriptions des interventions sont en ligne